lundi 3 octobre 2011

Brisé

C'est au tour de MamanSioux de me confier ses mots. C'est avec grand plaisir que j'abrite ici son histoire d'amour passée et ce temps suspendu.
J'en profite pour rappeler que c'est avec malice et plaisir que j'abrite les mots cabossés, les mots qu'on ne veux plus, les mots qui nous font honte et même ceux qui font notre bonheur. C'est avec fierté que je prends dans ma caboche les mots oubliés des autres, alors si l'aventure vous tente,  bienvenue !


Brisé : Synonyme : détruit, cassé.
Briser avec quelqu’un : rompre les relations.
(source : Mediadico)


J'ai rencontré S. par l'intermédiaire d'une amie, lors d'une visite que j'étais venue lui rendre, à 4h en train de chez moi, pour le week-end. Assez sceptique au début puis me laissant aller au cours de la soirée, je m'étais laissée couler dans les bras de S. et abandonnée à ses baisers langoureux. Etant donné la distance qui nous séparait, nous nous voyions les week-ends, tous les 15 jours, tantôt chez lui - qui vivait toujours chez ses parents et avait par ailleurs 2 ans de moins que moi, tantôt chez moi - dans mon petit appartement étudiant qui me permettait de savourer ma liberté de mouvement et de "réception d'hôtes".

Nous n'avions en réalité par vraiment les mêmes centres d'intérêts, pas les mêmes divertissements, pas la même expérience de la vie, pas le même milieu "socio-culturel" dirait l'INSEE. C'est vrai qu'avec lui, je ne parlais pas beaucoup ; quand on me connaît d'habitude, particulièrement passionnée d'échanges en tous genres, bavarde quoi ! - ça peut surprendre. Mais il était tendre, on passait tout de même de bons moments, je m'intéressais à lui et à ses passions. Je me doutais que cette relation ne me mènerait nulle part mais elle me convenait tout de même en l'état des choses, je m'attachais tout de même.

C'est quand, un soir, il a refusé avec véhémence un jeu amoureux - pour ne pas dire sexuel - puis fini en larmes contre mon épaule, dans le noir de la pièce et la chaleur du lit, que j'ai commencé à gamberger. Je n'ai pas osé le questionner, je n'ai pas senti cela approprié. Je me sentais inutile. Je ne pouvais que l'entourer de mes bras, ce grand jeune homme d'1m95, le serrer ni trop fort ni trop peu, lui caresser la tête, lui dire que j'étais là pour lui... faire en sorte qu'il n'ait pas honte d'évacuer son mal-être tout contre moi et espérer que cela pourrait, peut-être, l'apaiser un peu...

Notre relation a duré 4 mois et s'est lentement effilochée, à son initiative. Un autre épisode de ce type s'est produit, lors duquel, entre deux sanglots, il a formulé quelques bouts de phrases d’où perçaient la détresse "je ne voulais pas", "pourquoi on m'a fait ça ?". Si j'avais à présent deviné avec certitude ce qui avait pu lui arriver, je ne pouvais que compatir, je ne voyais toujours pas quoi faire et tant qu'il ne me l'avait pas dit clairement, je n'osais pas aborder ce sujet, faire remonter à la surface une fois de plus un drame qui devait déjà le hanter suffisamment.

C'est le jour de notre rupture, où nous avons passé un très long moment dans un parc à discuter, nous embrasser et pleurer (pleurer, c'était uniquement moi d'ailleurs), qu'il a tout lâché. Il m'a confié la date de son traumatisme, l'identité de son bourreau, les conséquences sur sa vie, son corps.
Un instituteur avait eu la bonne idée d'avertir ses parents d'un traumatisme qu'il pensait avoir décelé, amenant S. à rencontrer un pédopsychiatre dans sa prime enfance. Au terme de la séance, après que le professionnel eut raconté à ses parents le traumatisme dont leur fils avait été victime, ceux-ci questionnèrent l'enfant pour savoir s'il souhaitait poursuivre ses séances. Il répondit que non et n'y retourna plus jamais. Tout suivi s'arrêta là et j'ai la sensation que la vie reprit son cours "normal". J'avoue avoir été un peu scandalisée par le peu de cas que ses parents semblaient avoir fait des soins dont il aurait eu besoin pour apprendre à vivre avec cette horreur, la formuler, la dépasser, pour survivre au mieux après ces actes qu'aucun être humain - a fortiori un enfant - ne devrait avoir à subir un jour.

Il n'admettait pas que peut-être, sa conduite plus ou moins addictive face à certaines substances plus ou moins licites avait cet événement pour origine. Je ne souhaitais pas faire de la psychologie de comptoir car après tout, j'en ai rencontré d'autres depuis, lors de mes études notamment, des jeunes à la conduite addictive. Tant et tant qu'il était difficile d'imaginer que pour chaque joint tiré chaque soir de la semaine, sans faute, une telle blessure pouvait en être a l'origine. Ou bien l'humanité était-elle si malheureuse que cela ? Tant d'enfances que ça ont-elles brisées, qu'importe la raison ?

Je ne sais pas si c'était nécessaire à la rupture pour lui mais ce jour-là, dans le parc, S. m'a aussi dit des choses pas très agréables à entendre me concernant (une jolie comparaison entre moi et sa toute première copine, la seule qu'il ait vraiment aimée - sic, et d'autres encore moins flatteuses). Puis S. a continué son bonhomme de chemin. Un jour, il m'a envoyé un texto pour reprendre contact, texto que j'ai préféré ignorer. Plus tard, il m'en a envoyé un autre pour me dire son bonheur de me savoir en couple avec un homme qui me convenait. Je n'ai pas répondu.

S., qui porte le même prénom que Papa Sioux et grâce à qui, dans un instant d'amusement de célibataire un peu joueuse, j’ai fait cette remarque à un ami "Ah tiens, ça serait marrant de rencontrer ton pote S., il porte le même prénom que mon ex !". Trivial, superficiel.
Mais un signe comme un autre, plutôt bon finalement.



3 commentaires:

  1. C'est difficile de faire parler les blessures...les siennes, celles des autres.
    Entre ceux qui pensent que ça ne sert à rien d'en parler, que c'est le passé. Ceux qui ont peur que ça change quelque chose. Ceux à qui ça fait trop mal...
    C'est bien qu'il ait réussi à parler finalement -même s'il lui a fallut attendre la rupture pour ça...-


    Mais je n'arrive pas à concevoir qu'on puisse faire tant de mal à un enfant...ça me dépasse totalement, c'est inimaginable!
    Et que ses parents n'ait pas l'air d'avoir chercher plus loin, je ne comprends pas non plus. Mais on n'est pas dans leur tête, on ne sait pas...

    Bon, en fait je ne sais pas trop quoi dire. Mais il fallait que je dise un truc.

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  2. Whaou.
    C'est ce que je t'ai dit sur twitter, et c’est un peu court. Alors ...
    Le nombre d'enfants maltraités, abusés, est incroyable, au sens propre du terme. Et ... je ne sais pas, je trouve que les mots de Maman Sioux rendent cette énormité-là palpable.
    Je ne dis pas que derrière chaque gamin (ou adulte) qui déconne, il y a ce passé-là. Mais il est bien plus répandu qu'on ne le croit.

    (Moi non plus je ne sais trop quoi dire en fait.)
    (Sinon j'aime bien le concept de consigne des mots malaimés chez toi Divine).

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  3. Tout d'abord, merci Aubergine d'avoir bien voulu accueillir mes mots chez toi :-) ça leur rend honneur.

    @lapetitegrainefolle : moi non plus je ne comprends pas qu'on puisse faire ça un enfant... mais la vie semble toujours tourner autour de cet éternel pouvoir, celui qu'on a sur les autres, les plus faibles, à défaut d'en avoir réellement. Quant à ses parents, je l'ignore : peut-être des gens peu convaincus par les bienfaits de la psychologie, qui ne connaissent pas la notion de résilience, qui n'ont vu que le côté "désagréable" que ça pouvait avoir pour leur fils dans l'immédiat (puisqu'il ne voulait pas y retourner) et sont du genre à se dire que l'on vit tous avec nos casseroles et qu'on s'en débrouille. Je ne sais pas ! Mais j'avais un peu de mal à comprendre aussi - alors que S. avait plutôt l'air satisfait qu'on ne l'ait pas forcé à y aller.

    @La bouseuse : moi aussi je n'imaginais pas le nombre de personnes abusées qui doivent vivre avec ce genre de démons au quotidien. On n'imagine pas et on a pas vraiment envie d'imaginer je crois. En tous cas, derrière chaque adulte qui déconne, il y a certainement des carences quelque part, quand ils étaient enfants : qu'il s'agisse de négligence, de parents dépassés, de maltraitance ou de sévices (je ne place pas toutes ces choses sur un même plan bien sûr !), les causes de mal-être sont nombreuses malheureusement...

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