jeudi 8 septembre 2011

Harceler

Et voilà qu'aujourd'hui la catégorie "Mot d'un autre" ouvre ses portes. Je suis très fière de pouvoir héberger par ici le maux de Maritournelle. Un texte poignant, j'ai l'impression de lire deux naissances plutôt qu'une. Merci à Maritournelle de m'avoir fait confiance et d'avoir accepté de se prêter au jeu du mot.  (j'ai laissé son texte tel quel avec la police d'écriture qu'elle a choisi ainsi que sa photo)
Vous pouvez découvrir aussi une musique River Flow in You de Yiruma, choisie par Kodaklesgars, celle qui sait nous faire pleurer silencieusement ! (vous devez lancer l'écoute Deezer vous-même à la fin de l'article)
Bonne lecture et bonne écoute !

Harceler :  Verbe transitif, sens Faire subir à quelqu'un de petites attaques souvent répétées. Synonyme s'acharner
©Maritournelle

Au début tout est normal. Il y a ce manque de confiance en moi, ce mal-être que je combat depuis longtemps mais je me dis que c'est l'adolescence, que ça passera. Il y a ces conneries que je fais, ces mecs de passage - toujours plus loin, toujours plus glauques.

Il y a cette vie que je peine a construire, ces réorientations permanentes, ce permis que je n'arrive pas a passer, ces doutes, cette timidité.

Alors je me dis que j'ai peut-être un problème, et je la laisse me traîner chez le psy. Après tout elle est éduc, elle s'y connaît, elle en voit passer des jeunes gens en difficulté. Elle pense que je suis "comme mon père". Mais heureusement, si je l'admet, je pourrais être soignée.

Mon père je lui parle un peu et je me dis que c'est bizarre, tout de même.
Il l'aurait battue ?
Il m'aurait battue ?

Je l'ai entendu si souvent répéter, à tout va. Je me disais que c'était vrai puisqu'elle l'avouait à tout le monde, sans état d'âme. Mais quand même, mon papa, je le connais un peu et il ne ressemble pas à cet horrible monstre dont elle parle. Mais mon papa, il est secret et il se dévoile peu. Il ne veut pas me dire du mal d'elle. Alors, je me dis que s'il refuse d'en parler, c'est peut-être parce qu'elle a raison.

Un jour, je rencontre un mec bien, je tombe amoureuse et je vais vivre loin de mes démons avec lui. Mais ça ne va toujours pas. Je hurle souvent. J'ai peur, je me hais, je voudrais mourir. Il y a ces crises violentes, dures, angoissantes. Les flics qui débarquent parce que j'ai crié trop fort.

Alors il y a encore des psys, encore des remises en question, encore des théories. Je me demande si ça vaut le coup de continuer a m'acharner, si je sortirais un jour de cette foutue maladie qui m'empêche d'être heureuse.

Au milieu, il y a de nouveaux essais qui se soldent en échecs. Le permis. Les études. Mon poids. Je ne vais pas jusqu'au bout. Je quête la sérénité mais elle m'échappe sans cesse. Je commence à écrire, je commence "Ma Grande Quête de la Sérénité"

Et j'ai des réminiscences. Des petites phrases assassines, venues de je ne sais où.
A l'école primaire : "ne te tiens pas comme ça, tu as l'air enceinte tellement tu es énorme"
Au collège, des disputes tellement violentes qu'elle en cassait des objets dans ma chambre.
Au lycée, des fugues et des gifles.
Je me souviens maintenant, mais c'est parce que j'étais mauvaise. J'étais malade, déjà.

J'essaie de lui en parler. Parfois ça va, parfois on avance un peu. Souvent je "déforme la réalité". Alors je me tais et je cherche des moyens de me soigner. Des plantes, des cures de sommeil. Mais les crises reviennent, ce que j'appelle "Le retour du Gafard" : cris, larmes, enfermement. Isolement.

A Paris, je rencontre des amis et je coupe un peu les ponts avec ceux d'avant, ceux qui me rappellent ma douleur. Je construis des choses et puis je demande mon Amoureux en mariage. Quelques mois plus tard, il me demande lui aussi en mariage. On sait tous les deux que ce n'est pas anodin, qu'il y a un besoin d'émancipation pour moi, une manière de couper, d'aller de l'avant. Faire un pied de nez à cette fichue maladie. Je mets des mots dessus : Maniaco-Dépression. Voilà, je crois que je suis bipolaire, maniaco-dépressive.

Les préparatifs vont bon train. Quelques anecdotes devraient me mettre la puce à l'oreille mais je m'obstine à ne rien comprendre. Même lorsqu'elle me dit "Cesse donc d'être désagréable ou Chéri-Chéri te quittera", je ne relève pas. Je la crois - je suis mauvaise, si mauvaise. Bien sûr, qu'il me quittera si je continue à ne pas être gentille, souriante. Soumise.
Mais j'ai un amoureux qui ne l'entends pas de cette oreille et qui me respecte. Qui me pousse à me respecter moi-même. Et qui ne me quittera pas.

Quelques mois avant notre mariage, elle a une dispute avec Chéri-Chéri et prends à témoin la maman de celui-ci. Je reçois quelques textos ravageurs. Je me ferme comme une huître, je pleure pendant plusieurs jours. Je me remets en question. Après ça, silence radio, pendant des mois.

Là, un rayon de soleil. Chéri-Chéri qui est fatigué et qui ne sait plus quoi faire m'emmène parler avec sa maman à lui et ils m'apprennent que ce n'est pas normal. Que les mamans ne doivent pas agir comme ça avec leurs petites filles. Et pas plus avec leurs grandes filles, d'ailleurs.

Mais quelques mois plus tard, elle revient comme une fleur, elle me pardonne et tout redevient normal. Chéri-Chéri et moi on s'épouse et la vie continue.
Les souvenirs de violence morale se font de plus en plus présents mais je parle avec elle et je crois qu'on dénoue des nœuds, je crois qu'on avance et qu'on va aller quelque part. Je lui pardonne.

Mais de nouveau, une contrariété et le silence. Un long silence.

Pendant ce mutisme, j'apprends une nouvelle immense que je voudrais partager avec le monde entier. Une nouvelle qui va révolutionner nos vies. Dans mon corps, grandit une petite pousse, un minus qui nous rejoindra au printemps, un petit muguet d'amour.

Alors, bouleversée, j'ai peur. Peur de lui être toxique. Peur de lui transmettre cette maladie - ou qu'il en subisse les conséquences. Je réfléchis, je me remets en question. J'en parle autour de moi. Je lis, beaucoup. 
Et je réalise à petits pas que je suis une jeune femme gaie, volontaire et ouverte.
Que je ne suis pas malade, que je me suis juste bloquée sur cette idée, qu'elle a voulu me le faire croire. 

Je décide de ne pas la prévenir de ma grossesse. Pour me protéger et protéger ma jolie petite pousse du mal que me procure cette relation. Immédiatement, je me détends. Mon corps s'arrondit autour de l'enfant, cocon protecteur et aimant et je sais que tout ira bien. Ma grossesse débute dans la sérénité. Je me sens faite pour ça, je me sens en harmonie avec mon corps, ma vie et mon homme. Tout va bien.

Elle l'apprend, d'une de mes sœurs. Retour en fanfare, sans un mot sur les événements passés, ni sur ce si long silence. A croire que la veille encore, nous discutions gaiement au téléphone. Sauf que notre dernière marrade téléphonique remonte à des mois et notre dernier contact tout court aussi.

Pendant la grossesse, elle est à l'écoute. Prévenante, douce. 
Après l'accouchement, elle est respectueuse. 

J'y crois, cette fois. Je sais qu'elle a changé. Je remercie silencieusement mon Poussin, ma petite pousse miraculeuse, raison de cette étrange volte-face.

Quand Poussin a six semaines, nous allons passer quinze jours de vacances dans le sud. Par précaution, nous n'allons pas chez elle mais dans une belle maison qu'on nous prête. Je n'ai pas d'inquiétude, ces dernière semaines ont été si douces, si tendres. Dans l'échange et le partage. Merveilleuses. Je l'ai enfin retrouvée.

Mais sur place... 

Mon Poussin devient son Poussin. Elle me parle d' "amour grand-maternel", 

"Tu sais, un amour inné, profond, qui te vient des tripes. Avant même de le voir, je l'aimais déjà ce Poussin, je l'ai senti, je l'ai su. C'est un amour inconditionnel." 

Je suis touchée, émue de son amour si fort pour mon fils. Je ne réalise pas qu'elle s'attribue ma place de mère.

Puis, elle le présente autour d'elle comme "son petit dernier". Je lui donne mal son bain, je lui serre trop les pieds avec mon écharpe. Bien sûr, elle ne le dit pas directement. Elle est si juste, si idéale. 

Alors, elle fait l'erreur qui va la perdre. Elle se permet de prendre la voix de mon fils.

"Oh oui, je suis un gentil bébé, mais ma maman va me brûler dans ce bain trop chaud."
"Mes petits pieds sont trop serrés et ma maman ne le voit même pas, mauvaise maman"

Quand elle ne me fait pas de reproches indirects, elle en fait à Chéri-Chéri :

"Regarde moi papa, je te parle. Regarde moi, je suis tout triste, tu ne me remarques pas, vilain papa"

Elle cultive son image de "Matriarche". J'aurais beau exprimer mes doutes, on me regarde avec un regard navré que je sois si mauvaise envers elle. Elle a toujours été si douée pour sauver les apparences, pour devenir la gentille, la généreuse. L'Idéale.

Ma Tribu à qui je tente d'en faire part me fait douter. 

Notre relation a toujours été comme ça, pour les plus généreux. 
J'en fais encore toute une histoire, je n'arriverais jamais à régler ça décidément, pour les moins tendres.

Quelques semaines plus tard, j'apprends en confidence de ma grand-mère, des souvenirs qui me mettent les larmes aux yeux.

"Je ne pouvais pas te le dire avant, tu étais tellement manipulée... mais déjà quand tu étais petite..."

Je suis triste, profondément triste. Mais je crois que cette fois, c'est clair. Je crois qu'elle ne me fera plus douter. Je ne suis plus une petite boule fragile qu'elle peut piétiner.

Je me sens bien dans ma vie et dans mon corps. Ma vie, je la construis. Mon corps, je l'apprivoise à petits pas craintifs. Mes échecs je les transforme en réussites. Je prends mon temps, j'y vais à mon rythme. J'apprends à relativiser, à accorder moins d'importance aux choses, à dédramatiser. Peut-être par réaction, je m'éloigne de la surconsommation et j'aspire à la simplicité.

Je veux transmettre d'autres choses à mon fils. Je veux lui dire que les bonheurs les plus simples sont les plus doux. Je veux qu'il sache qu'il suffit de pas grand chose dans la vie pour avancer. J'aimerais créer en lui la confiance qui m'a manquée, je veux qu'il sache à quel point il est exceptionnel et quelles capacités de réussite il a. Je veux qu'il prenne conscience de son individualité et de la place qu'il a, comme tout un chacun. Qu'il sache que tout le monde a droit au respect, même un bambin, même un bébé. 

Aujourd'hui, je me sais aimée... et j'aime, j'aime tellement intensément. J'aime Chéri-Chéri. J'aime mon Poussin.

J'aime mes proches, familles et amis. J'aime ma Tribu, malgré le mur auquel je me bute dès que j'évoque le sujet.

Cela ressemble à une "Happy End".

Mais ce n'est pas fini... Parce que je ne suis pas seule, il y a derrière moi tant d'êtres aimés qu'elle casse. 

Il y a celui-ci qui peine également à se construire, trop idéaliste. Il a un tel poids sur les épaules, un tel devoir de réussite que je me demande comment il va faire

Il y a cet autre - et c'est peut-être ma plus grande inquiétude - qu'elle pourrit, qu'elle abime et qui fuit le conflit, qui se referme sur son univers. Je n'ai pas envie que ça devienne son moyen de défense systématique, je ne veux pas qu'il croit que c'est normal ou qu'il estime n'avoir aucune valeur, il est si précieux !

Il y a celle-la qui est mal dans sa peau, qui a du mal a s'accepter. Qui a un rapport au corps et à son image désastreux. Cette grande héroïne si fragile que j'ai peur de la casser par mes remarques et mes interrogations.

Il y a celle-ci, qui croit qu'une maman peut se moquer, peut humilier, peut punir et décider de la vie de ses enfants. Comprendra-t-elle un jour que chaque individu a droit au respect de tous, que chacun est libre de son corps et de ses actes des son plus jeune âge, des sa naissance ? Cessera-t-elle de prendre pour acquis qu'il DOIT exister une hiérarchie parents-enfants ? Je lui souhaite d'apprendre a relativiser ce qu'on lui dit, même si une maman parait avoir parole d'évangile.

Il y a ces autres qui souffrent d'elle -indirectement - parce qu'elle les coupe de leurs racines, qu'elle les éloigne comme des branches pourries.

Voilà, parce qu'ils sont la et parce qu'ils sont abîmés - même s'ils n'en prendront peut-être jamais conscience - rien n'est fini. Rien n'est réglé. Et je regarde impuissante le carnage continuer.







7 commentaires:

  1. je ne trouve pas les mots pour consoler tes maux...

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  2. Quel beau texte, puissant et émouvant...

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  3. Merci ! Et merci à Aubergine de m'accueillir, à Kodaklesgars d'illustrer mes mots de musique :)

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  4. Maritournelle, je suis terriblement émue et retournée par ton texte, ta vie, tes mots.
    Quel courage il t'as fallu pour aller de l'avant et te reconstruire une individualité propre et heureuse... Une maman, c'est tellement précieux. En avoir une aussi "toxique" est terrible.
    Tu as protégé ton fils, tu as fait ce qu'il fallait.
    Pour tes frères et soeurs, c'est dur oui. Mais de te savoir là, présente et aimante et heureuse sans "elle" va leur permettre de remettre les choses à leur place, avec le temps.
    Tu es forte. Tu avances. Tu aimes. Tu es aimée. Tu es maman. Une vraie, belle et bonne maman. Tu es une épouse aimée et aimante. Tu es Toi.

    Merci d'avoir partagé ton histoire avec nous.
    Je t'embrasse fort.

    Et merci à Aubergine de t'avoir permis de le faire <3

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  5. Ton texte est si dur et si magnifique à la fois. J'ai tellement de peine de lire des choses comme ça... les mères toxiques existent... mais c'est tellement pas juste.
    Tu fais tout ce qu'il faut. Je t'envoie tout mon courage.

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  6. Madame Frimousse et Ali, vos mots doux me vont droit au coeur. Tous ces encouragements sont essentiels dans le chemin de ma reconstruction et je les prends comme aide et réconfort. Merci d'avoir pris la peine et le temps de commenter mon passage ici.

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  7. Je découvre ton texte Maritournelle et je suis effondrée à l'idée qu'une maman puisse être aussi mauvaise pour son enfant. Bien sûr, je ne l'ignore pas mais c'est tellement plus subtil et vicieux que de la violence physique, ce doit être tellement plus difficile à voir pour l'entourage et plus dur à combattre.
    Je suis heureuse que tu aies réussi à comprendre que tu n'étais pas malade et que tu aies un doux cocon grâce auquel te reconstruire, prouver que l'on peut aimer en respectant et que l'on peut t'aimer pour ce que tu es, une fille bien et qui mérite beaucoup de bonheur.

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